le port des signes religieux
Courrier international - n° 802 - 16 mars 2006
Le jugement de la Cour suprême n’en a pas moins provoqué un malaise dans la société québécoise. Alors que le multiculturalisme canadien affirme le droit de pratiquer sa religion en public comme en privé, 6 Québécois sur 10 s’opposeraient au port des symboles religieux à l’école. De nombreuses décisions juridiques ont néanmoins garanti ce droit – le port du voile islamique est notamment autorisé par la loi depuis 1995.
Si une majorité d’éditorialistes soutient le verdict, certains chroniqueurs s’indignent. “Avec quels arguments peut-on convaincre les gens du bien-fondé de l’interdiction de réciter une prière avant la classe ou avant les travaux d’un conseil municipal alors qu’on permet à un enfant de porter une arme – à ses yeux, un symbole religieux ?” s’interroge l’écrivaine et chroniqueuse Denise Bombardier dans Le Devoir. “La Cour suprême, contrairement à ce qu’on pense, n’a pas tranché dans l’affaire du kirpan : elle a plutôt glissé sur la pente savonneuse de la rectitude politique”, assène-t-elle.
Les juges ont rejeté les arguments sécuritaires invoqués par les autorités scolaires, affirmant qu’aucun incident impliquant le kirpan n’a été constaté en un siècle de présence sikhe au Canada. Leur décision exige néanmoins que l’objet soit porté sous les vêtements, inséré dans un fourreau en bois et enveloppé dans un étui de toile cousue.
Pourquoi ce verdict provoque-t-il tant de réticences, se demandent les journaux québécois ? Selon certains experts, le caractère récent de la laïcisation dans la Belle Province exacerberait la sensibilité au retour du religieux. “D’un côté, il y a le Québec qui déconfessionalise tout, et de l’autre, de nouvelles communautés qui n’ont pas mis en place ce processus”, explique une fonctionnaire. Par conséquent, le débat sur le voile a été suivi de façon attentive par les médias de la province francophone. Pour un éditorialiste de La Presse, “le jugement de la Cour suprême porte un ultime message : il faut continuer à lutter pour la laïcisation de l’espace public”. Pour l’homme de la rue, le message est sans doute plus terre à terre. Comme le souligne Le Devoir, “un couteau est un couteau”.