Ce que j'ai à dire; ce que j'ai pu lire

tout est dans le titre. Et par moment, j'ai même à dire sur ce que j'ai pu lire.

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Lieu : France

lundi, octobre 10, 2005

Merci Napoléon

Courrier international - n° 779 - 6 oct. 2005


INDE
Pourquoi il n’y a toujours pas de Code civil


En droit privé, chaque communauté religieuse applique son propre code. Difficile, dans ces conditions, de dégager des principes et des règles applicables à tous les citoyens de l’Union.

Il n’y a pas de Code civil unique qui s’appliquerait à tous les citoyens indiens, quelle que soit leur religion et on parle beaucoup d’en élaborer un. Mais, dès qu’on commence à discuter de son contenu éventuel, on se retrouve pris dans un enchevêtrement juridique particulièrement complexe.
L’atmosphère est désormais tellement chargée que toute discussion, toute opinion sur la question est vue avec des lunettes politiques. Si on exprime quelques réserves, on est réactionnaire ou faussement partisan de la laïcité, bref un ignoble individu qui divise l’Inde. Si on se montre tout aussi légèrement favorable, on est un extrémiste hindou, un bouffeur de musulmans qui s’emploie lui aussi à diviser l’Inde. Et inutile de ne pas prendre parti : c’est le meilleur moyen de se faire insulter par les deux camps. Mais qu’est-ce qu’un débat sans opinions violemment contrastées ? D’où viendront les solutions si nul ne brave les insultes et les divergences de vues pour s’attaquer vraiment à la question ? C’est pour cette raison qu’un petit groupe de Poona [ville universitaire située à 150 kilomètres au sud-est de Bombay] a essayé, il y a quelques années, d’élaborer un projet de Code civil unique.
Ce faisant, il s’est heurté au grand problème suivant : comment trouver une logique dans l’incroyable fouillis que constitue notre droit des personnes ? A chaque niveau, dans chaque région, il y a des différences selon l’appartenance religieuse de l’intéressé. Si une disposition ne s’applique pas aux hindous, la suivante ne touche pas les musulmans, la troisième les chrétiens et la quatrième les parsis. Telle combinaison est une exception ici, telle autre en est une autre là. Je ne vois vraiment pas ce que peut vouloir dire le terme “unique” dans une telle situation. Comment peut-on tirer l’essence d’une succession d’exceptions et de cas particuliers pour constituer un Code civil unique ? En matière d’adoption, de succession, de mariage et de divorce, c’est le droit religieux qui s’applique.
Pourquoi nous retrouvons-nous dans cet étrange imbroglio ? Parce que nous avons pris en compte toutes les traditions imaginables existant dans notre pays, et que nous les avons toutes intégrées dans notre législation. Résultat, nous avons aujourd’hui ce sac de nœuds de règles et d’exceptions qui passe chez nous pour le droit des personnes. Si l’on veut un jour démêler ce sac de nœuds, on doit se demander une fois encore ce que signifie la création d’un Code civil unique. Il n’y a qu’à prendre le meilleur de chaque droit, me direz-vous. D’accord, mais qu’est-ce qui permet d’affirmer qu’une option est “la meilleure” ? Allez, dites-moi, laquelle est “la meilleure” ? Quand on s’attaque à ce genre de question, on se retrouve en effet face à un troisième grand problème. Chacun est persuadé que sa religion est la meilleure du monde. Le Code unique qui s’impose, se dit-on, n’est rien d’autre que – ô surprise ! – son propre droit.

Une situation défavorable pour toutes les communautés

Une autre chose encore vient compliquer le débat : l’idée répandue que notre droit des personnes “favorise” une religion en particulier. Ah bon ? J’aimerais bien savoir en quoi la loi “favorise” les musulmans. Allez, dites-moi : en quoi les musulmans sont-ils “favorisés” ? Ou qui que ce soit d’autre, d’ailleurs. Ce n’est pas en prétendant, en toute ignorance, que le droit des personnes favorise les musulmans qu’on va parvenir au consensus sur la nécessité d’un Code civil unique. Ceux qui répandent ce mensonge ne veulent pas réellement d’une législation uniforme. Tout ce qu’ils veulent, c’est quelque chose à jeter à la tête des musulmans, pour les faire passer pour des arriérés bornés. Ce n’est pas le meilleur moyen de lancer un débat, mais c’est le meilleur moyen de hérisser les musulmans.
La vérité est évidente quand on prend le temps de se pencher sur la question : la cohabitation de divers droits des personnes ne “favorise” personne. Ce n’est qu’un vaste imbroglio. Alors, voulons-nous un Code civil unique ? Oui, dites-vous ? Eh bien, il me semble qu’il n’y a qu’un moyen de voir clair dans ce brouillard délirant. Il faut examiner chaque élément des droits existants à la lumière des garanties constitutionnelles dont jouit chaque Indien – égalité, justice, droit à la vie – et rejeter les dispositions qui ne respectent pas ces principes de base. C’est-à-dire, par exemple, que nous ne pouvons pas autoriser un droit des successions qui fait une distinction entre agnat et cognat ou entre le père et la mère. Et cela que ces dispositions soient fondées sur la tradition ou non. Si certaines traditions mènent à l’injustice et à la discrimination – et c’est le cas de trop d’entre elles –, plus vite elles se retrouveront à la poubelle, mieux ce sera. La meilleure façon de réformer, c’est souvent de changer la loi.
Ce n’est pas facile, mais c’est dans cet esprit qu’a travaillé le groupe de Poona. C’est pourquoi S. P. Sathe, l’homme qui le dirigeait, a écrit sur l’expérience un article qui comprend cette réflexion intéressante : le Code civil unique ne doit pas nécessairement être un “droit commun. Il pourrait s’agir d’un fonds de règles différentes mais reposant toutes sur les principes uniformes de l’égalité des sexes et de la liberté de l’individu”. Moi, ça me va très bien, merci. Parce que je me fiche complètement de savoir ce que veut dire “agnat” et en quoi ça diffère de “cognat”.

Dilip D’Souza
Outlook