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Lieu : France

lundi, novembre 14, 2005

la crise en France vue par la presse II

Courrier international - supplément au n° 784 - 10 nov. 2005 France : La rage des banlieues vue par...

VU DE SUÈDE

Le 3 décembre 1983, Toumi Djaidja, 20 ans, apparaissait sur le perron de l’Elysée. Le jeune homme, d’origine algérienne, venait d’être reçu par François Mitterrand et déclarait triomphalement qu’un grand pas vers l’égalité venait d’être accompli. En novembre et décembre 1983, plusieurs dizaines de milliers de jeunes immigrés de la deuxième génération avaient marché de Marseille à Paris. A leur arrivée dans la capitale, ils étaient près de 100 000. Officiellement dénommée “Marche pour l’égalité et contre le racisme”, la manifestation avait vite été rebaptisée “Marche des Beurs”. Le mouvement avait été déclenché par une série de brutalités policières à Vénissieux, dans la banlieue de Lyon. Les protestations s’étaient rapidement muées en revendications. Les jeunes immigrés réclamaient le droit à un emploi et une place dans la société française. Aujourd’hui, il ne reste pas grand-chose de l’enthousiasme que manifestait Toumi Djaidja après sa rencontre avec le président de la République. Les promesses des socialistes sont restées lettre morte, comme celle qu’avait faite François Mitterrand, pendant la campagne électorale de 1981, d’accorder le droit de vote aux immigrés. Aux Beurs et aux autres enfants d’immigrés non européens, il n’est resté que le chômage et le sentiment d’être des étrangers. Peut-être aussi le sentiment d’avoir été instrumentalisés par les politiques. La gauche a laissé un goût amer. Beaucoup des anciens participants à la “Marche des Beurs” estiment aujourd’hui qu’ils ont été utilisés par les socialistes par le biais d’associations comme SOS Racisme.

D’après les représentants des jeunes issus de l’immigration, la situation n’est pas la même aujourd’hui qu’il y a vingt ans. Avant, le climat était “antiarabe”. Aujourd’hui, il est devenu “antimusulman”. Pour les jeunes des cités qui espéraient se faire une place dans la société française, le réveil a été difficile. Les représentants des partis politiques officiels suscitent rarement l’intérêt dans les banlieues.

Quand ces jeunes regardent l’Assemblée nationale, ils constatent qu’il ne s’y trouve pas un seul représentant de leur communauté, et la situation n’est pas plus brillante aux niveaux municipal et régional. S’ils regardent les actualités à la télévision, ils n’ont pour ainsi dire aucune chance d’y voir un présentateur ou un journaliste arabe ou “black”, comme on appelle souvent les Noirs en France.

Les parents des jeunes qui lancent aujourd’hui des pierres sur les CRS sont arrivés en France pendant la période de croissance économique des années 1960 et 1970. Beaucoup d’entre eux ne venaient pas de grandes villes, mais de la campagne, et étaient analphabètes. Ils étaient bien intégrés tant que l’économie se portait bien. Mais, lorsque le vent a tourné, ils ont été mis à l’écart en banlieue, dans des barres d’immeubles décrépites. Leurs enfants sont français, mais restent en marge de la société. Et ils se sentent étrangers à l’échec de leurs parents. Lorsque la France a gagné la Coupe du monde de football, en 1998, on a célébré le brassage ethnique représenté par l’équipe nationale. La mosaïque black-blanc-beur a été érigée en symbole de la France cosmopolite. Mais le soufflé est vite retombé. Aujourd’hui, les banlieues s’enflamment rapidement. Et leur misère s’accompagne souvent de délinquance, d’une économie parallèle et de règles qui leur sont propres.

Tout n’est pas négatif, bien sûr. La mode “banlieue attitude”, par exemple, a été créée en banlieue et a eu du succès dans des quartiers où “banlieue” signifiait criminalité, gangs et HLM mal entretenus. Mais les exemples positifs disparaissent rapidement sous un flot de problèmes qui semble ne jamais devoir se tarir.



Björn Erik Rosin
Svenska Dagbladet